Reprendre un fonds de commerce à Genève : comment transformer une opportunité en réussite ?

avenir

À Genève, la reprise d’un fonds de commerce représente une voie d’entrée attractive pour de nombreux entrepreneurs. Elle offre la possibilité de démarrer une activité sans partir de zéro, en bénéficiant d’un emplacement, d’un droit au bail, de matériel, voire d’une clientèle existante. Mais cette opération, en apparence simple, cache une réalité juridique, financière et humaine bien plus complexe. Le canton de Genève se distingue d’ailleurs par un cadre légal unique en Suisse, une densité élevée d’établissements dans certains secteurs comme la restauration, et des exigences spécifiques de la part des régies immobilières. Par ailleurs, dans certaines zones de la ville, notamment l’hypercentre, le Plan d’Utilisation du Sol (PUS) impose des règles strictes sur l’affectation des locaux. Il est ainsi impossible, dans certains cas, de transformer un ancien restaurant en boutique de vêtements ou vice-versa. Ce type de contrainte urbanistique doit impérativement être vérifié avant toute reprise.

 

Un cadre légal et un contexte local en mutation

Genève est en effet le seul canton suisse à encadrer strictement l’activité d’agent d’affaires. « La loi sur les agents intermédiaires, en vigueur depuis 1950, exige un agrément délivré par le Conseil d’État pour toute personne servant d’intermédiaire dans la vente d’un fonds de commerce », explique Geraldo Zaccaria, directeur et co-fondateur de Transgate, société spécialisée dans la transmission d’entreprises. Ce cadre légal, qui n’existe pas dans d’autres cantons, a pour objectif de garantir une certaine qualité d’accompagnement. Pourtant, une partie du marché reste informelle. « Beaucoup de transactions sont encore traitées par des fiduciaires, des régies ou des particuliers, souvent sans connaître les implications juridiques », poursuit-il. Cet agrément, comparable à une patente, implique notamment un dépôt de garantie et une autorité de surveillance spécifique.

 

À ce cadre juridique particulier s’ajoute un contexte économique genevois en pleine recomposition. Après les effets du Covid, de nombreux commerçants se retrouvent encore aujourd’hui avec des dettes accumulées. La nouvelle loi fédérale sur les faillites, entrée en vigueur début 2025, permet désormais aux créanciers publics de prononcer beaucoup plus rapidement une faillite en cas de non-paiement. Là où il était auparavant possible de temporiser une poursuite, une entreprise peut dorénavant être mise en faillite en quelques semaines, sans solution intermédiaire. Ce changement de paradigme inquiète de nombreux professionnels, d’autant plus que les charges — loyers, salaires, TVA, énergie — pèsent fortement sur les marges.

 

À cela s’ajoutent des modifications structurelles du marché : habitudes de consommation bouleversées, pression sur les prix, transformation des modes de restauration… Si les chiffres précis manquent, les professionnels constatent une hausse du nombre de fonds de commerce à remettre, parfois sans repreneur, et des baisses de prix sur certaines typologies de biens. Pour les acheteurs, cela peut représenter une opportunité. Mais à condition d’analyser les dossiers avec lucidité.

 

La restauration en première ligne

Transgate, société genevoise active depuis une vingtaine d’années, s’est imposée comme une référence sur le marché, en particulier dans la restauration, un secteur où les changements de main sont fréquents. « La majorité des affaires que nous traitons concernent des établissements de restauration, un domaine où les compétences juridiques et fiscales sont primordiales », explique Geraldo Zaccaria.

 

Nadège Perdrizat, fondatrice de Fondeco, partage ce constat. « À Genève, environ un tiers des établissements changent de main chaque année. Le secteur est en constante évolution. » Ancienne restauratrice, elle a fondé Fondeco en 2021 pour accompagner les entrepreneurs exclusivement dans le secteur de la restauration et des bars. Elle y apporte une expertise nourrie par son propre parcours : elle a elle-même exploité plusieurs établissements pendant plus de dix ans, affrontant seule les nombreuses contraintes réglementaires, techniques et financières du métier. « J’aurais aimé, à l’époque, pouvoir compter sur un interlocuteur de confiance pour m’orienter dans toutes les questions que je me posais », confie-t-elle.

 

Les bonnes questions à se poser en tant qu’acquéreur

Pour ceux qui souhaitent acheter un fonds de commerce, plusieurs points doivent être abordés avec rigueur. Tout d’abord, il est indispensable de clarifier le secteur d’activité ciblé. La restauration, par exemple, ne s’improvise pas. Les exigences réglementaires, la pression opérationnelle, les marges limitées et les horaires contraignants en font un métier à part entière. De nombreux acquéreurs idéalisent cette activité sans en mesurer les réalités. L’expérience dans le domaine, la possession d’une patente, ou à défaut un entourage professionnel compétent, sont des prérequis souvent sous-estimés.

 

La localisation géographique est un autre point décisif. Il ne s’agit pas forcément de viser les rues les plus passantes, mais plutôt de trouver une cohérence entre le projet entrepreneurial, la clientèle visée et l’environnement immédiat.

 

Le troisième point clé concerne les fonds propres. Contrairement à d’autres types d’acquisitions, la reprise de petites entreprises est difficilement financée par les banques traditionnelles. « Les institutions financières restent très frileuses sur ce segment, et sans cautionnement, peu de projets trouvent un financement », observe Geraldo Zaccaria.

 

Enfin, l’un des obstacles les plus souvent rencontrés à Genève est la capacité à proposer un garant personnel ou un co-signataire solvable domicilié en Suisse pour la reprise du bail commercial. Cette exigence, bien qu’informelle, est systématiquement demandée par les régies immobilières. « Il ne suffit pas d’avoir un projet solide. Il faut aussi pouvoir rassurer les propriétaires par une garantie personnelle crédible », souligne-t-il. À ce titre, mieux vaut parfois prendre le temps de bien choisir son projet plutôt que de se précipiter. Comme le rappelle Geraldo Zaccaria, « tout a toujours été un peu à vendre à Genève », mais c’est surtout une question de bon moment et de bon prix.

 

Côté vendeurs : anticiper, sécuriser… et comprendre pourquoi on vend

Du côté des cédants, les motivations à vendre sont nombreuses : départ à la retraite, changement de projet de vie, tensions économiques ou envie de passer à autre chose. Mais quelle que soit la raison, il est essentiel de préparer la vente bien en amont. Cela implique de s’assurer que le bien est conforme aux normes actuelles, de clarifier la situation juridique de l’entreprise (personnel, contrats, litiges éventuels), et de veiller à ce que le bail commercial soit suffisamment long pour rassurer les acquéreurs.

 

« Un bail de moins de trois ans rend souvent une vente très difficile. Il est préférable de négocier un renouvellement avant de lancer la commercialisation », précise Nadège Perdrizat. Geraldo Zaccaria nuance cependant : si la durée du bail est courte, elle ne constitue pas nécessairement un blocage selon lui, à condition de pouvoir discuter avec la régie. Pour lui, l’important est de bien préparer les échanges et de s’assurer que les conditions du bail pourront être adaptées ou reprises dans un cadre clair.

 

La transparence est également cruciale. Une hotte défectueuse, une extraction non conforme, un litige en cours : autant d’éléments qu’il vaut mieux aborder dès le départ pour éviter les ruptures de confiance. Anticiper est aussi un moyen d’éviter la vente précipitée. « Nous sommes très attentifs à l’horizon de vente de nos clients », explique Geraldo Zaccaria. « Lorsqu’une régie devient trop exigeante ou que le risque de faillite se profile, nous intervenons rapidement pour structurer un plan de sortie. Cela permet de préserver la valeur du bien et d’éviter les situations de blocage. » C’est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes : vendeurs, acquéreurs, propriétaires et régies.

 

Un rôle d’intermédiation structurant et technique

Contrairement à une idée reçue, la mission de ces agents spécialisés ne se limite pas à mettre en relation un acheteur et un vendeur. Chez Transgate, chaque transaction est encadrée par une équipe pluridisciplinaire qui analyse, structure, sécurise et négocie chaque aspect de la cession.

 

Une des premières questions posées est la suivante : s’agit-il uniquement d’un fonds de commerce ou également de la société qui l’exploite ? Dans le premier cas, seule l’exploitation (droit au bail, matériel, clientèle…) est transmise. Dans le second, l’acquéreur reprend aussi les parts sociales et, avec elles, les éventuels passifs. « Cette distinction change complètement la nature des vérifications à effectuer », insiste le co-fondateur de Transgate. L’équipe effectue alors une due diligence pour sécuriser la transaction.

 

Les agents jouent aussi un rôle actif dans la préparation du dossier, que ce soit à destination des régies, des futurs bailleurs ou d’éventuels partenaires financiers. Leur connaissance du terrain et leur capacité à clarifier les aspects techniques du projet permettent souvent de lever des obstacles bien en amont. « Chez Transgate, nous jouons souvent un rôle de médiateur informel, entre les intérêts parfois divergents des deux parties. Mais toujours dans un esprit d’équité, et avec un seul objectif : que le deal fonctionne durablement. »

 

Cet esprit de conseil est aussi revendiqué par Fondeco : « Mon objectif est que tout le monde soit content à la fin de la transaction, aussi bien le vendeur que l’acheteur », confie Nadège Perdrizat. « Pour moi, une bonne reprise, c’est quand l’acheteur repart confiant et que le vendeur tourne la page sereinement. C’est ce climat de confiance que je m’efforce de créer. »

 

Le soutien décisif de la FAE

Dans ce paysage complexe, la Fondation d’Aide aux Entreprises (FAE) joue un rôle souvent décisif. Elle intervient notamment dans les cas où les porteurs de projets n’ont pas les garanties suffisantes pour convaincre les établissements financiers. En offrant un cautionnement, en co-construisant un plan de financement ou en accompagnant les démarches de reprise, la FAE agit comme un catalyseur de projets locaux.

 

« Aujourd’hui, pour de petites structures, peu de banques acceptent de financer sans garanties extérieures », insiste Geraldo Zaccaria. Ce soutien s’appuie sur un travail préalable de qualité : les agents spécialisés, comme Transgate ou Fondeco, ont souvent déjà débroussaillé le dossier. Ils connaissent le marché, savent évaluer la valeur réelle d’un fonds, anticipent les objections des régies ou des bailleurs, et apportent des documents structurés. Lorsque les demandes arrivent à la FAE, elles sont souvent mieux préparées, ce qui accélère l’analyse et renforce les chances d’aboutir.

 

Cela permet non seulement à des initiatives entrepreneuriales de voir le jour, mais aussi de maintenir une activité économique de proximité dans des quartiers en mutation, de préserver des emplois et de redonner une deuxième vie à des établissements en difficulté. Pour bon nombre de repreneurs, le passage par la FAE fait ainsi toute la différence entre un projet resté sur papier et une activité réellement lancée.

 

Reprendre un fonds de commerce est donc loin d’être un acte anodin. C’est une opération qui implique des compétences multiples, des arbitrages, une vision stratégique et une bonne dose de réalisme. Pour les acheteurs comme pour les vendeurs, il s’agit d’un moment charnière dans la vie professionnelle. Mieux vaut, dès lors, être bien accompagné et bien préparé.