Comment financer sa croissance ? Entre lucidité, méthode et leviers de soutien
Développer son activité, répondre à la demande, moderniser son outil de production… La croissance est souvent présentée comme une évidence. Mais elle peut aussi devenir un piège. Une entreprise en forte expansion doit recruter, revoir ses processus d’achat et de production, faire évoluer son organisation, le tout nécessitant de forts investissements. Même avec une excellente marge, elle peut se retrouver à court de trésorerie. Si les moyens humains, techniques ou financiers ne suivent pas, cette croissance peut mettre en péril tout l’édifice. Savoir la piloter est donc aussi crucial que de la provoquer.
C’est précisément le sujet qu’a exploré Guillaume Bony, gestionnaire financement PME à la FAE, lors d’un webinaire consacré aux leviers de financement disponibles pour les entreprises en phase de développement. De l’anticipation stratégique à la structuration des demandes, en passant par l’activation de soutiens publics, les entrepreneurs ont bénéficié d’un panorama clair et sans langue de bois.
Partir du réel pour construire une demande claire et crédible
Le financement ne doit jamais être une fin en soi. Il est un outil au service d’un plan structuré. La première étape consiste donc à identifier ses besoins, les hiérarchiser, puis à les traduire en objectifs réalistes. Il peut s’agir d’une embauche, d’un nouvel équipement ou d’un simple décalage entre le règlement de ses fournisseurs et l’encaissement de ses clients. L’important est de rester ancré dans sa réalité économique. Soit, ce que l’on est déjà capable de produire ou de vendre, avec les ressources existantes. Un objectif arbitraire, à l’inverse, serait de partir d’un chiffre théorique souhaité – par exemple doubler son chiffre d’affaires – sans démontrer comment cette trajectoire peut s’appuyer sur des éléments concrets.
Dans ce cadre, un prévisionnel, sur trois ou cinq ans, joue un rôle central. Il permet de traduire une ambition économique en projection chiffrée, d’identifier les marges de manœuvre, de tester la viabilité du projet. Il aide aussi l’entrepreneur à se rassurer sur sa propre stratégie en appuyant ses intuitions sur des hypothèses chiffrées et tangibles. Pour les partenaires financiers, c’est un outil précieux de discussion.
Parler simplement pour construire la confiance
Quand on présente son activité à un banquier ou à un investisseur, il est tentant de vouloir montrer qu’on maîtrise tous les aspects techniques. Mais la pédagogie reste un atout. Expliquer clairement ce que l’on fait, même si cela paraît évident, permet à l’interlocuteur de valider ce qu’il pense avoir compris, et d’avoir la confirmation que l’entrepreneur est bien conscient de ses propres mécanismes économiques. Cela renforce la crédibilité du porteur de projet.
Présenter son modèle économique de manière accessible, sans jargon, en explicitant les sources de revenus, la structure de coûts, les canaux de distribution ou les clients types, donne une vision claire, sur laquelle le financeur pourra se positionner plus sereinement.
Optimiser sa gestion avant de solliciter des fonds externes
Avant de se tourner vers la dette ou les investisseurs, il est souvent possible de soulager sa trésorerie de manière autonome. L’un des premiers conseils donnés est simple : ne pas payer ses fournisseurs trop tôt. Beaucoup d’entrepreneurs, par souci de bien faire, règlent leurs factures dès que leur trésorerie le leur permet. Pourtant, payer avant l’échéance revient à priver son entreprise de liquidités utilisables. Si un accord prévoit un paiement à 30 jours, utiliser pleinement ce délai permet de garder des marges de manœuvre pour d’autres engagements. Ce réflexe, qui semble vertueux, peut en réalité nuire à l’équilibre de trésorerie et mettre en tension inutilement les capacités de financement.
D’autres leviers existent, comme améliorer le recouvrement des factures, demander des acomptes, facturer rapidement, alléger les stocks ou transformer une garantie de loyer bancaire en assurance. Tous ces gestes permettent de dégager des liquidités sans recourir à un emprunt. Ainsi, plus l’entreprise parvient à générer de la rentabilité, plus elle pourra autofinancer ses futurs investissements, sans dépendre exclusivement d’un apport extérieur.
Certaines solutions intermédiaires peuvent aussi être activées. Le factoring, ou avance de liquidités sur factures, peut permettre de lisser un décalage de paiement entre un client et l’entreprise. Ce dispositif exige, dans le cas de la prestation proposée par la FAE, plusieurs conditions : un minimum de 2’500 francs par facture, des clients, des entreprises basées en Suisse uniquement, jugés solides, une certaine récurrence, et des ressources internes conséquentes, car le bon fonctionnement de ce mécanisme nécessite un suivi rigoureux. Il ne convient donc pas à toutes les entreprises, mais peut jouer un rôle utile dans une phase de transition.
Il est également important de ne pas concentrer l’ensemble de ses demandes de financement sur un seul interlocuteur. Diversifier ses sources entre banques, apport en fonds propres, solutions alternatives et aides publiques, permet de bâtir une structure de financement plus équilibrée. Cela peut aussi rassurer (et motiver) un financeur classique en montrant que l’entrepreneur ne s’appuie pas sur un seul levier.
La FAE, un soutien stratégique à plusieurs niveaux
C’est dans ces moments de transition, lorsque l’entreprise a un projet pertinent mais que les fonds propres ou la croissance sont insuffisants pour obtenir un crédit bancaire classique, que la Fondation d’Aide aux Entreprises (FAE) peut jouer un rôle décisif. Sa mission est claire : soutenir des entreprises viables, implantées à Genève, pourvoyeuses d’emplois.
Le cautionnement est le cœur de son activité. Notamment, en partenariat avec le Cautionnement Romand, la FAE peut garantir totalement ou partiellement un crédit bancaire, sur une durée moyenne de cinq ans, voire dix ans en cas de rééchelonnement. Le montant garanti peut aller jusqu’à plus de 4 millions de francs, 1 million maximum dans le cas de Cautionnement romand, en fonction du chiffre d’affaires prévisionnel de l’entreprise, de sa capacité à rembourser, et du nombre d’emplois concernés.
D’autres outils existent également. La prise de participation minoritaire, notamment pour les entreprises innovantes ou en transformation. Les avances de liquidité sur factures, comme vues plus haut. Et enfin, les mandats d’accompagnement stratégique. Lorsqu’un blocage précis empêche l’entreprise de se développer sereinement, qu’il s’agisse d’un manque de structuration commerciale, d’une faiblesse RH, d’une organisation trop artisanale, la FAE peut financer l’intervention ponctuelle d’un expert externe. Ce soutien ciblé permet de résoudre une difficulté concrète et de rendre un projet plus pérenne, respectivement le cas échéant, finançable.
Grandir avec lucidité
Guillaume Bony l’a résumé en une phrase percutante : « Si vous avez plus d’idées que de fonds pour les mettre en œuvre, il faut prioriser, différer ou renoncer à certains projets. »
Le message est clair. Il ne suffit pas d’avoir un bon projet pour qu’il soit finançable. Il faut savoir où l’on va, avec qui, à quel rythme, et avec quelles ressources. La croissance est une ambition saine… à condition d’en maîtriser le tempo. Grâce à un accompagnement structuré, des leviers adaptés, et un regard lucide sur sa propre trajectoire, il devient possible de faire de cette ambition un levier durable — et non un facteur de fragilité.