Swissoja SA remporte le Grand Prix de l’Économie 2025 – Catégorie Industrie

Swissoja : de la fève à l’impact
Installée au cœur du canton de Genève, Swissoja est bien plus qu’une entreprise agroalimentaire. Pionnière dans la fabrication de tofu et de lait de soja en Europe, elle incarne une certaine idée de l’entrepreneuriat engagé : enraciné localement, exigeant sur la qualité, et profondément humain. Gagnante du Grand Prix de l’Économie 2025 organisée par la CCIG, avec le soutien de l’État de Genève et de l’Office de Promotion des Industries et des Technologies (OPI) dans la catégorie Industrie, Swissoja est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Retour sur un parcours de résilience, d’artisanat maîtrisé et de croissance responsable.
Une histoire singulière, entre intuition et résilience
Créée en 1977 par un Genevois passionné de culture japonaise, Swissoja fut l’une des toutes premières entreprises européennes à produire du tofu de manière artisanale. Durant les premières décennies, la structure vivote, changeant de propriétaires à plusieurs reprises, avant d’être reprise en 2007 par Manuel Martinez. Convaincu par le goût d’un tofu qu’il découvre presque par hasard – « J’étais de ceux qui n’aimaient pas le tofu, jusqu’à ce que je goûte celui-ci », raconte-t-il – il se bat pendant deux ans pour acquérir l’entreprise.
À cette époque, la production avoisine les 100 kilos par jour. En 2025, Swissoja dépasse la tonne quotidienne, tout en maintenant une production artisanale et locale. L’entreprise compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs, et ses produits sont distribués à l’échelle nationale. L’essentiel est vendu en Suisse, à l’exception d’un volume modeste, mais symbolique exporté à l’étranger. Notamment à Paris, où ses tofus sont présents dans plusieurs restaurants végétariens réputés et au sein du pavillon bio du marché de Rungis. Même au Japon, des experts citent Swissoja comme exemple de producteur de tofu de qualité rivalisant avec leurs meilleurs producteurs domestiques. Une reconnaissance rare pour une PME genevoise restée farouchement indépendante.
Une démarche artisanale et locale, au service de la qualité
Chez Swissoja, 90 % de l’assortiment repose sur le tofu. Qu’il soit nature, mariné, pané, en burger ou en brochettes. Le reste est constitué de lait de soja frais, pasteurisé et distribué au rayon frais – un produit encore peu courant sur le marché suisse. Tous les ingrédients sont bio, certifiés Bourgeon, et les fèves de soja proviennent exclusivement de la région genevoise, cultivées localement dans un rayon court. Seule l’étape de triage des fèves est réalisée hors du canton.
L’entreprise revendique un modèle semi-artisanal, où seuls les processus qui n’ont pas d’impact direct sur la qualité de fabrication du produit sont automatisés. « Nous industrialisons ce qui doit l’être, mais tout ce qui touche au cœur du produit est fait à la main », souligne Manuel Martinez. Swissoja prépare aujourd’hui un grand saut avec un déménagement à l’horizon 2030 vers de nouveaux locaux de 6’000 m² à Satigny, six fois plus grands que le site actuel. Il s’agira d’absorber une demande qui ne cesse de croître et d’élargir les gammes, sans sacrifier pour autant une production de qualité, locale et humaine.
Une PME engagée socialement
Au-delà de l’alimentaire, Swissoja s’est forgé une réputation d’acteur socialement engagé. Depuis plusieurs années, l’entreprise forme des apprentis issus de l’immigration en partenariat avec des structures comme Yojoa ou les EPI. Certains d’entre eux, à peine francophones à leur arrivée, sont aujourd’hui employés à durée indéterminée ou responsables d’équipe. Le responsable adjoint de la logistique a lui-même commencé par un stage.
Ici, aucun traitement différencié : stagiaires, apprentis, cadres ou opérateurs sont tous logés à la même enseigne. « L’un de nos stagiaires provenant des EPI nous a quittés en ayant retrouvé une pleine confiance en lui. C’est ce genre d’impact qui me rend le plus fier », explique le directeur.
L’entreprise a aujourd’hui également les capacités d’attirer des anciens de multinationales, venus chercher du sens, un cadre de travail plus humain ou un meilleur équilibre de vie. Swissoja fonctionne avec une culture de la confiance et de l’autonomie, renforcée par des réunions de coordination collectives. « Ici, il faut créer son poste : on est une entreprise en mouvement ». Ceux qui ne partagent pas cette vision entrepreneuriale ont tendance à ne pas s’y retrouver. Les autres, eux, ne veulent plus partir.
Une trajectoire soutenue par la FAE
Pour se développer, Swissoja a su s’entourer. La Fondation d’Aide aux Entreprises (FAE) a joué un rôle clé à plusieurs étapes de son histoire. En 2014 déjà, un premier cautionnement bancaire permet de financer des machines d’emballage essentielles. En 2017, la situation est plus délicate. Alors que l’entreprise est en pleine croissance, ses investisseurs historiques se retirent pour des raisons indépendantes du projet. Sans accès aux crédits bancaires traditionnels, Manuel Martinez se tourne de nouveau vers la FAE.
Grâce à un deuxième cautionnement, Swissoja parvient à débloquer des financements bancaires à un moment critique. Tous les prêts ont depuis été remboursés rubis sur l’ongle. « Les banques regardent des ratios, la FAE regarde un projet. Elle évalue le potentiel de l’entrepreneur, de l’équipe, du produit. C’est une vraie lecture humaine de l’économie », affirme Manuel Martinez. Dans le cadre du futur déménagement de la société, la FAE pourrait de nouveau être sollicitée. « Leur accompagnement est plus qu’un soutien financier, c’est un levier stratégique. » Avec cette nouvelle étape, le plus grand défi pour Swissoja sera de croître sans renier les valeurs humaines et artisanales qui ont fait sa singularité.
Une victoire au Grand Prix de l’Économie
Ce 16 septembre 2025, Swissoja vient de remporter le Grand Prix de l’Économie dans la catégorie Industrie. La nouvelle a été accueillie avec une immense émotion dans l’entreprise. « Ce prix qu’on nous donne, c’est celui de toute une équipe. Il récompense 18 ans de travail, de convictions, de défis surmontés, de croissance assumée. Il confirme que l’on peut produire localement, durablement, humainement, et rester compétitif. »
Le dirigeant, qui a occupé tous les postes au sein de l’entreprise – de la production à la logistique, de la livraison à l’administration – voit dans cette récompense un symbole fort : « Aujourd’hui, je ne joue plus du piano, de la batterie ou de la basse… je dirige un orchestre où chacun maîtrise sa partition. »
Ce prix met en lumière un travail de fond, souvent discret, mais essentiel : créer des emplois durables, produire de manière responsable, faire rayonner Genève. Pour les partenaires, ce prix confirme qu’ils ont eu raison d’y croire. Et pour le grand public, il révèle qu’à Genève, une petite entreprise artisanale peut rivaliser avec les meilleurs, sans compromis sur la qualité, l’éthique ou la durabilité.